Présenté et acclamé par
les spectateurs à l'E3
2005, Alan Wake a fait forte impression
avant de se faire oublier, laissant place à un long silence. Il aura fallu cinq
longues années à Remedy avant de
sortir leur nouvelle production, faisant ainsi d'Alan Wake une des plus belles arlésiennes du jeu vidéo
de cette décennie. Qu'en est-il alors de ce thriller vidéoludique ?
UNE PAGE ENFIN ECRITE
Elle se sera fait attendre, cette dernière production du
studio finlandais. Pour avoir été à l'œuvre sur les Max Payne, Remedy Entertainment a su susciter impatience et buzz
auprès de la communauté vidéoludique autour d'Alan Wake. Il semblait
difficile d'imaginer ce que pourrait donner un jeu davantage axé sur l'angoisse
que sur l'horreur. Car si le développeur a choisi de présenter son nouveau
bijou sous l'appellation « thriller d'action psychologique », c'est
bien afin de s'affranchir du survival horror traditionnel représentés notamment
par les séries Resident Evil et Silent Hill ou plus récemment par Dead Space. Et il faut bien concéder
que si le jeu partage l'effet chaire de poule avec ces productions, il sait
cependant s'en démarquer à bien des égards.
Le joueur incarne donc Alan Wake, écrivain à best-sellers
dont l'inspiration connaît cependant la panne sèche. Deux années que notre
héros n'a pas écrit une ligne et pour tenter de relancer un peu la machine,
l'écrivain, accompagné de sa femme Alice partent à Bright Falls, un petit bourg
en rase campagne dans lequel ils ont réservé un joli petit chalet sur une île
au sein d'un lac. Après une brève phase de cauchemar visant à introduire le
joueur aux bases du gameplay, Wake se réveille sur le ferry, accompagné de sa
dulcinée. La petite ville se dévoile sur une inscription de bienvenue et les
rencontres locales se révèlent assez pittoresques avec notamment l'animateur
radio amène et le plouc rustre aux allures de chasseur qui ne manque pas de
taxer le couple de « Satanés bobos ! ». Il faut dire qu'avec sa
veste aux coudières en cuir, la capuche qui dépasse, sa coiffure impeccable et
sa barbe de trois jours, l'écrivain n'a pas volé ce vil sobriquet.
ALONE IN THE DARK
Puis on accoste à Bright Falls. La ville se révèle être un
cliché de l'Amérique profonde, avec sa station essence, sa scierie et son restaurant
« Diner » où les vieux habitués viennent prendre leur café et parler
avec Rose, la serveuse ornée de sa coiffe et totalement éperdue d'admiration
pour Alan Wake. Cette ville possède ses traditions annuelles comme la fête du
cerf, mais elle renferme également quelques secrets.
Rapidement, la nuit tombe et par un coup du sort, Wake et sa
femme sont séparés au milieu de la nuit. Dès lors commence le périple d'Alan qui,
une torche à la main et un pistolet dans l'autre, part à la recherche de sa bien-aimée...
au cœur des ténèbres, d'une nuit qui paraît alors sans fin. Il devra dès lors
cheminer sur des routes perdues, mais surtout au beau milieu des bois, et dans
d'autres lieux tout aussi atypiques. La prudence sera de rigueur car les ombres
hostiles seront à l'affût et hormis du courage, il faudra également user d'une
certaine dextérité avant de les affronter.
'COME ON BABY LIGHT MY
FIRE'
Afin de lutter contre ces 'choses' de la nuit, la lumière et
les armes à feu seront les meilleures armes dont on disposera. Les phases de confrontation
consisteront généralement à pointer sa torche dans la direction de l'adversaire
tout en intensifiant la lumière afin que celui-ci soit le plus rapidement
débarrassé des ténèbres qui le protègent. Seulement, les ténèbres étant
toujours en lui, il faudra l'achever au calibre. Inutile ici de préciser que
les attaques à arme à feu seront inefficaces si l'on n'a pas préalablement
effectué la première partie du travail à l'aide de la lampe. Au mieux, cela
permettra au joueur de faire reculer la menace et de gagner un peu de temps
afin de changer les piles de sa torche. Ainsi le jeu se pose comme ayant deux
attaques indissociables l'une de l'autre.
Il faudra donc gérer soigneusement ses divers stocks, car
ici, on cumulera les munitions mais aussi les piles. Si les armes
traditionnelles peuvent être assez variées et plus ou moins efficaces en
fonction de leur calibre (pistolet, carabine, fusil), les armes
éclairantes, elles, peuvent connaître quelques particularités. Car hormis la
lampe torche qui nous sera fidèle pendant la très grande majorité de
l'aventure, on pourra trouver des feux à main, sortes de fumigènes qui se
révèleront assez efficaces lorsque l'on sera assailli par une horde. Cependant,
ces fumigènes n'ont, comme la lampe-torche, que la capacité d'anéantir les
ténèbres, ce qui n'est pas le cas de tous les outils de lumière. Le
lance-fusées est effectivement une arme bien plus efficace si l'on veut se
débarrasser de tout un groupe d'ennemis. Les grenades incapacitantes possèdent
également cette particularité de faire disparaître les adversaires, on notera
néanmoins que ces armes se comptent en portion congrue et on les considérera
comme de précieux trésors lorsqu'on en trouvera sur son chemin.
Les ombres étant nombreuses, fourbes et parfois plus rapide
que notre écrivain qui a tendance à avoir le souffle court, il sera également
possible d'esquiver les attaques adverses en courant. Un joli ralenti montrera
alors la lame de l'adversaire effleurer sa cible... ou la frapper. Les attaques
peuvent d'ailleurs être bien plus vive qu'attendues, notamment dans la mesure
où les adversaires balancent souvent clés à molette où haches qu'ils semblent
avoir en quantité illimité. D'autres éléments peuvent devenir agressifs. Outre
les oiseaux (merci Alfred !), barils, tractopelle et autre
moissonneuse-batteuse peuvent devenir de sérieux assaillants.
Il s'agit-là de la majorité du gameplay. Effectivement, à
part de ponctuelles phases en voiture, le système de jeu se révèle assez
pauvre. Outre cela, Alan Wake possède quelques séquences de QTE lorsqu'il
s'agira d'ouvrir une porte ou d'allumer un générateur. Ces derniers serviront
notamment à mettre en route des luminaires vitaux à l'écrivain (ils servent à rétablir
la jauge de santé et de point de passage). Ceux-ci s'avèrent ainsi être des
éléments salvateurs même si à de nombreuses reprises, les ampoules auront
tendance à claquer dès que l'on aura passé ce checkpoint, renforçant un peu
plus la crainte du joueur.
S'il ne brille pas par
son gameplay qui paraîtra épuré pour les uns et avare pour les autres, Alan
Wake possède en revanche une ambiance qui lui procure un cachet bien particulier.
HEART OF DARKNESS
Bright Falls, la ville où la lumière décline pour mieux
laisser l'obscurité régner en maître. Car la nuit, si tous les chats sont gris,
il y a également d'étranges phénomènes qui émergent. Mais personne ne voit
rien. Seul Alan, en proie à la recherche incessante de sa femme, constate que
les cauchemars peuvent prendre forme et imposer une réalité bien tangible. Sous
un ciel étoilé, la région se révèle moribonde et les bois inquiétants. Parfois,
au loin, à quelques centaines de mètres devant, on peut voir un arbre s'effondrer.
Etant dans un état de crainte avancé, on en viendrait à espérer ne jamais
connaître la raison de cette chute. Car il faut jouer à Alan Wake de nuit,
c'est indéniable. La fenêtre ouverte, si possible, histoire de laisser courir
un vent nocturne au travers de la pièce, une fraîcheur, un calme et un silence
que l'on partagera alors avec notre héros.
Un héros pas si héroïque d'ailleurs. Comme la majorité des
créatifs qui se respecte, Wake transpire le manque d'exercice physique. Au bout
de cinquante mètres de courses, il n'en peut plus et se dandine péniblement,
essoufflé. Il s'arrêtera alors deux secondes, les mains sur les rotules afin de
mieux cracher ses poumons. Gérer sa course est essentiel dans Alan Wake, car on
n'est jamais à l'abri d'un agresseur. Et se faire agresser en subissant un
point de côté, ça la fout plutôt mal.
En terme de contexte propre à l'anxiété et à l'effroi, les
petits gars de chez Remedy ont fait un travail assez remarquable. Les bois,
lieu central de l'histoire, jouissent d'un caractère angoissant vraiment très
réussi. Les conifères en imposent et le moindre petit bruit ne manquera pas de
faire sursauter le joueur. Car les développeurs ont bien compris que c'étaient
ces petits riens qui étaient les éléments clés du frisson. Cela peut être une
branche qui craque (avec ce petit écho qui rend la chose si crédible), un
oiseau qui s'envole, une pierre qui tombe d'un ravin ou un bidon qui roule tout
seul...
Dans les phases dangereuses, la nuit se met à vrombir d'un
silence inqualifiable, la brume s'engouffre dans la forêt, se densifie et fait
danser les arbres. Elle nimbe le décor d'un voile trouble et le plonge dans l'indistinct.
Dès lors, on avance, prudent, scrutant les alentours de manière craintive car
on sait qu'un assaillant va apparaître. Mais d'où ? Car ces ombres
maléfiques peuvent surgir de n'importe quel côté. Ainsi, il ne sera pas rare
d'avancer, au milieu d'une route, se dirigeant vers l'objectif et d'entendre un
petit bruit, comme un grommellement, dans notre dos. En se retournant, on se
trouvera alors nez-à-nez avec nos effroyables assaillants prêts à nous faire la
peau.
Même en intérieur, la tension reste palpable. Les rares
refuges offrent leur lot de frissons. Entre une planche qui grince à l'étage et
une ombre qui passe devant la fenêtre, difficile de s'estimer être en sécurité.
Sans compter les quelques postes de télévisions qui recèlent leur lot de
surprises et diffusent régulièrement des épisodes de la Zone X, une version à
peine voilée de la fameuse Twilight Zone (La quatrième dimension) qui ne fait
que conforter le joueur et Alan dans l'idée que le monde a bel et bien vacillé
dans l'étrange.
DE HITCHCOCK A LOST
Outre les nombreux éléments soignés qui mettent l'angoisse en
exergue tout au long de l'aventure, le jeu se démarque par ses qualités
narratives rarement vue jusque là dans un jeu vidéo. Alan Wake se veut d'ailleurs être un hommage à Stephen King et,
déguisées ou non, les références au maître de l'effroi y sont légion. Partant
de ce principe, on sent que les développeurs ont effectué un réel travail sur
l'impact qui peut avoir la création sur la réalité. La créativité et son
absence. Car du début à la fin, Alan Wake ne cesse de narrer ce qu'il compte faire, il nous fait part de ses doutes,
ses craintes, il nous en apprend un peu plus sur son passé. Ainsi se tisse le
plus efficace travail d'immersion qui soit.
Remedy nous propose finalement ce que l'on pourrait presque
appeler un roman interactif. Un roman qui n'en est pas un. Une histoire qui est
celle d'Alan et qui, pourtant, transpire le déjà-vu. Un cauchemar qui prend
forme, en quelques sortes. En arpentant la forêt, l'écrivain tombera d'ailleurs
très vite sur des pages du roman qu'il n'a jamais écrit, mais dont il avait
déjà en tête le titre depuis un bon moment : « Departure ». Ces pages, toujours intrigantes, racontent
non seulement ce qui a pu se passer, mais également ce qui va se passer, ce qui
tend à renforcer l'appréhension. Autre fait intéressant, ces pages (par une
narration romanesque omnisciente) retranscrivent également ce qui est en train
de se passer à un tout autre endroit, alors que le joueur est toujours dans ses
pérégrinations forestières. Ce procédé permet au joueur de saisir la globalité
de l'histoire.
A la limite de la santé mentale, Alan continue son chemin de
croix, guidé par un but, certes, mais également pour se prouver qu'il n'a pas
définitivement sombré dans le délire et la déréliction la plus totale.
Incertitudes renforcée par de nombreux flashs qui viennent heurter son esprit
de façon impromptue.
A cela s'ajoute un nombre incalculables de clins d'oeil. A
Stephen King certes, mais également à Bret Easton Ellis, ou encore à Stanley
Kubrick. Outre la littérature et le septième art, Alan Wake emprunte également
au petit écran avec certes les émissions de la Zone X, mais également avec un
enrobage qui n'est pas sans rappeler Lost. Les développeurs ont d'ailleurs
avoué s'être grandement inspiré de la série créée par J.J. Abrams. Certains
effets de brume noire ne seront d'ailleurs pas étrangers aux amateurs de la
série. Le jeu se décline d'ailleurs en six épisodes dont la durée a été
savamment dosée entre une heure trente et deux heures. Le jeu partage également
cette affection pour les fins ouvertes qui laissent le joueur en haleine sur
des musiques somme toute très séduisantes. Avec Roy Orbison, Nick Cave and The
Bad Seeds ou encore David Bowie sur sa playlist, Alan Wake peut se targuer d'avoir une B.O. des plus riches. Ces
morceaux sont d'ailleurs souvent insérés au sein des cliffhangers de fin d'épisode,
ce qui donne encore un peu plus l'impression d'être l'acteur d'une série... et immanquablement
l'envie de se replonger à nouveau dans l'histoire et de continuer à avancer,
sans s'arrêter.
CINQ ANNEES D'ATTENTE...
...et le jeu reste très beau. Il est vrai qu'à l'E3 2005, Alan Wake avait fait forte impression
et promettait une claque graphique. Ce n'est plus réellement le cas même si
dans son ensemble le jeu s'avère être très soigné malgré quelques rares
textures douteuses. De jour, les environnements s'avèrent efficaces, et proposent
de sublimes panoramas avec une eau du Cauldron Lake aussi lumineuse
qu'inquiétante. C'est cependant de nuit qu'ils prennent toute leur envergure.
Les contrastes entre ombre et lumière sont tout simplement savoureux et le
moindre tremblement de branche d'arbre saura susciter la suspicion du joueur.
Les ralentis lors des phases d'actions révèlent tout le potentiel technique du jeu :
lorsqu'une fusée de détresse est tirée sur un des assaillants, les particules
de lumières absorbent les ténèbres des ennemis environnants avant de les faire
tous disparaître dans une gerbe d'étincelle.
Si les modélisations des visages ne sont pas forcément ce qui
se fait de mieux, on saura reconnaître qu'Alan sait exprimer ses émotions avec
une certaine crédibilité (le travail est assez probant au niveau des yeux). De
même, les divers personnages campent parfaitement leurs rôles. De la serveuse
au shérif local en passant par l'agent du FBI agressif, la majorité d'entre eux
répondent aux topos de ce genre cher à Stephen King. Mention spéciale à Barry, agent
et meilleur ami de Wake. Personnage débonnaire et pataud, un Bill Murray enrobé
qui fait office de comique de service et de lourdaud patenté.
Alan Wake se révèle
être très séduisant. Appréhendant le Survival-horror afin de mieux tenter de
s'en éloigner, le jeu lorgne davantage sur l'effroi glaçant que sur la
boucherie exhaustive. Les craintes les plus féroce sont les plus impalpables,
celles-là même que l'on ne peut rationnaliser, et comme le mentionne si bien
Alan Wake en citant Stephen King, 'les cauchemars ne relèvent pas de la
logique, et les exprimer n'aurait aucun intérêt ; ce serait contraire à la
poésie de la peur.' C'est donc à base de suggestion, de mise en scène et
surtout d'une narration inattaquable sur le fond que le jeu propose un voyage
unique. Et si ce titre s'avère redondant par son gameplay, linéaire et
dirigiste à souhait sans compter des phases de lectures un brin surjouées, il
n'en demeure pas moins étincelant grâce à une gestion du clair-obscur certes
classique dans les jeux de ce type, mais rarement maîtrisée à ce point. Une
bien belle expérience en somme.